Quelles différences observez-vous entre la nouvelle génération et les générations précédentes au travail ?
Comme nous-mêmes un jour (lointain !), les jeunes arrivent sans expérience de ce qu’est la vie d’entreprise ; il y a ceux qui ont envie d’apprendre, qui sont débrouillards, entreprenants, problem solvers, d’autres qui ont des certitudes, qui parfois même en veulent à la génération des boomers…
Je perçois aussi un sentiment diffus d’effondrement imminent. De fin de cycle. Tout se passe comme si ce qu’il y a eu avant ne durera pas et que ce qui est très long terme n’a pas de sens. Comme je comprends ceux qui s’orientent dans des voies qui les reconnectent à la nature, au vivant, aux métiers manuels ! On voit que le travail n’a plus la même centralité qu’il avait pour moi au même âge. Mais j’ai profondément confiance en leur capacité à inventer le monde dans lequel ils aspirent à vivre. Les jeunes m’inspirent beaucoup !
Quel état d’esprit devraient adopter les entreprises pour mieux recruter et retenir les jeunes talents ?
Ce n’est pas évident pour les entreprises d’admettre que le rapport de force s’est inversé. Les collaborateurs ont conscience que leur valeur est toute aussi importante que celle des employeurs. Quand quelqu’un rejoint notre équipe, je raisonne toujours dans une logique de « culture add » et non de « culture fit » : je n’espère pas tant que la personne adhère à 100% à notre ADN qu’elle vienne l’enrichir, nous bousculer, être un poil à gratter pour notre organisation. J’adore quand quelqu’un arrive à twister ma façon de faire, challenger mon regard sur le travail, sur les clients. Bien-sûr, c’est parfois maladroit, mal fait, pas toujours abouti, mais la remise en cause que permettent les jeunes talents est vitale.
Chez Envi nous avons un onboarding un peu particulier. Lorsque de nouveaux collaborateurs commencent (des stagiaires pour l’instant, mais quels stagiaires !), ils sont d’emblée partie prenante. On leur a par exemple laissé la main à 100% sur la création de notre compte Instagram, @_envischool. Je n’aurais jamais fait des choses pareilles ! On est dans la co-construction.
Toute entreprise, grande ou petite, gagnerait je crois à être dans cette optique. On s’entoure trop de gens qui nous ressemblent. L’entre-soi est mortifère ! Ce sont les frottements et les divergences qui produisent de l’innovation. Il faut accepter d’être dérangé. C’est évidemment plus facile pour une entreprise comme Envi qui a moins d’un an d’existence d’être agile et ouvert, on n’a pas d’héritage. Mais je vois aussi de grandes organisations très visionnaires sur le Future of Work qui osent expérimenter des pratiques de travail inédites pour essayer d’aligner les intérêts de l’entreprise et ceux de leurs collaborateurs.
Je pense notamment à Schneider Electric, au moment de la fin de partie par exemple. Comme partout, de plus en plus de salariés ressentent l’envie de quitter le navire pour se lancer à leur compte. Plutôt que de se figer dans une logique de rétention, Schneider non seulement finance leur formation à la création d’entreprise, mais leur propose aussi, quand l’entreprise créée par le collaborateur reste dans leur écosystème, de trouver des ponts pour continuer à travailler ensemble. Ils ont compris que l’enjeu n’était pas de retenir mais d’inventer comment créer de la valeur autrement, en travaillant l’employabilité des personnes au-delà des frontières de l’entreprise. Comme dit Laetitia Vitaud : il faut laisser la cage ouverte pour que l’oiseau puisse mieux revenir !
On voit donc que des premiers changements surviennent, côté entreprises. Pensez-vous que la nouvelle génération va transformer encore davantage la culture et les valeurs de l’entreprise ?
Je pense qu’elle nous insuffle plus de vérité et de liberté. J’entendais deux jeunes dans le métro l’autre jour, l’un disait à l’autre : « Untel est un vrai looser : il reste plus de 2 ans dans la même boîte ! » S’engager dans la durée n’est pas perçu comme un signe positif. Cela me fait questionner les fondamentaux du corps social qu’est l’entreprise. Qu’est-ce qui crée l’engagement, qu’est-ce qui fait que je vais durablement avoir envie d’appartenir : le prestige, le salaire, les valeurs que défend l’entreprise, l’utilité sociétale ou environnementale des projets que j’y porte ?
Quelle que soit la réponse, les entreprises sont contraintes à une radicale authenticité, à une saine transparence. La jeune génération oblige les entreprises à faire ce qu’elle disent et dire ce qu’elles font, ce qui au fond n’est pas si mal comme projet de vie.
La jeune génération semble en effet en quête de sens et de liberté. Comment les entreprises peuventelles travailler de la meilleur façon possible avec ces nouveaux collaborateurs ?
On aspire tous à prendre part à une aventure collective plus grande que soi, alignée avec son axe de vie – que l’on soit jeune ou jeune depuis longtemps, comme moi ! Toute entreprise a un
impératif de rentabilité et une somme d’actions individuelles ne construit pas une réussite collective sans règles, sans rituels. Pour embarquer tous les coéquipiers vers la croissance rentable, il faut un capitaine avec une vision, qui montre le chemin, donne de la cohérence, développe l’autonomie et la confiance. Si l’entreprise libérée est une séduisante utopie, les paquebots avec 50 niveaux de validation sont de vrais repoussoirs.
Tout l’enjeu pour un leader est de réussir cet exercice d’équilibriste entre l’autorité que l’on exerce et l’autonomie que l’on accorde, dans un contexte hybride entre full-remote et office-based. Et que l’on soit fondateur, salarié, indépendant, étudiant (retraité !), je crois qu’il faut se donner pour mission personnelle de créer chaque jour du collectif, être un connecteur, quelqu’un par qui le lien se fait. Le sens se trouve dans le collectif.
Comment les entreprises pourraient s’adapter à ces changements liés à la nouvelle génération d’une part, mais aussi au contexte actuel ?
Pour répondre à cette vaste question, nous avons créé le DoTank, un club de grandes entreprises de tous secteurs qui expérimentent avec nous les nouvelles pratiques du Future of Work, du pré-onboarding jusqu’à la fin de partie. Les problématiques abordées s’articulent autour de trois thèmes : la culture, quels sont les fondements d’une entreprise ouverte et flexible capable d’optimiser sa performance en même temps que l’engagement de ses talents ; le leadership aujourd’hui : quels sont les mindset, qualités et compétences du leader dans l’entreprise plurielle ; la croissance de l’entreprise et le travail indépendant : comment devenir un hub de compétences qui crée de la valeur avec toutes les parties prenantes.
Quels sont notamment les ingrédients d’une collaboration réussie avec les indépendants et les freelances ?
Mazars a par exemple partagé sa charte du slashing. Face au désir de certains collaborateurs de cumuler emploi salarié et aventure entrepreneuriale, ils ont en effet mis en place une charte qui permet à chacun de développer son « side project ». Cela représente bien-sûr un défi en matière d’organisation du temps, de culture d’entreprise ou de confidentialité des données mais ils ont pris le parti d’encourager leurs salariés à avoir des vies professionnelles plurielles. Ils ne redoutent pas la désagrégation du collectif. Comme eux je crois que pour assurer sa croissance et sa pérennité, il est urgent pour l’entreprise de questionner les fondements du contrat de travail salarié si on veut s’aligner avec le sens recherché par les collaborateurs, attirer les talents et les garder.
On aborde ces sujets sous l’angle du partage et de l’expérimentation, avec une dimension internationale ; c’est ce qui rend le Do Tank unique et performant. On prend beaucoup de plaisir aussi. Il faut nous rejoindre pour phosphorer, défricher et innover ensemble sur le travail de demain !