Peux-tu nous présenter ton parcours ?
J’ai un parcours universitaire en ingénierie au cours duquel je me suis beaucoup impliquée dans les associations étudiantes. Après mes études, j’ai rejoint Amaris comme ingénieure ferroviaire. Je travaillais alors chez Alstom T&C, à Toronto. Que ce soit dans mes stages ou dans ce rôle, j’étais à des postes très techniques et je n’arrivais pas à trouver l’environnement et le rôle qui m’aideraient à m’accomplir dans mon travail. Je souhaitais être impliquée dans des projets avec différents acteurs, une vue plus opérationnelle et business, ainsi qu’un impact plus large.
J’avais aussi la volonté de travailler en Europe à ce moment-là. J’ai donc postulé pour une offre en Angleterre, dans l’équipe Amaris HEMA, afin de devenir Manager. C’était le grand saut dans l’inconnu !
Après, deux ans et demi à ce rôle, la fibre technologique me manquait. C’est ce qui m’avait attirée initialement dans l’ingénierie. J’ai donc accepté un poste au sein du lab de Mantu, spécialisé en data science et intelligence artificielle. Dans un premier temps, j’ai été en charge de développer les activités en externe, puis j’ai repris le pilotage des équipes en tant qu’Head of Innovation Lab.
Deux ans et demi plus tard, j’ai saisi une nouvelle opportunité : un poste au sein du Comité Opérationnel de LittleBig Connection afin de piloter des projets transversaux au niveau de l’équipe Produit-IT, incluant notamment les équipes de support technique (L2) et la compliance LB. Depuis mai 2022, je travaille donc pour l’équipe produit IT avec Eric Tinoco.
Sur mon temps personnel, je siège au Conseil d’Administration du Réseau Technoscience, un organisme qui vise à favoriser la sensibilisation et l’accessibilité de la science pour les jeunes.
Y a-t-il des difficultés que tu penses avoir rencontré à cause de ton genre ?
La liste est longue ! Mansplaining, gaslighting, paternalisme, sexisme ordinaire… Quand les hommes ne répondent pas aux questions posées par une femme mais plutôt à celles adressées par d’autres hommes dans la pièce. Dans ce contexte, j’ai dû parfois faire le choix de m’exclure d’une initiative pour qu’elle puisse se réaliser. Au regret, avec le recul, de ne pas avoir réglé le problème fondamental : la misogynie dans la pièce.
J’ai aussi été témoin des comportements non-professionnels d’autres collègues de travail jaloux des performances d’autres femmes. Ou encore de l’attitude d’hommes pensant savoir mieux que les femmes comment gérer leur propre vie, leur futur, leurs évolutions professionnelles. Et plus encore, mais je m’arrête là. Ce sont celles qui m’ont le plus affectée au cours de mon parcours. Globalement, on crée autour de nous un environnement avec des gens de mêmes valeurs, avec qui on ne vit pas de sexisme ou de misogynie. Mais dès qu’on sort de cette zone sécuritaire, on peut rapidement faire face à des comportements sexistes.
Qu’est-ce qui freine l’accès des femmes aux postes tech selon toi ?
Il y a deux grands sujets que je souhaiterais souligner. Le premier est le manque de représentation.
Aujourd’hui, on est encore loin d’avoir une représentation encourageante, notamment dans les postes de direction ou dans les métiers de la tech. L’étude de SISTA, par exemple, souligne que les femmes représentent que 22% des rôles de direction dans la French Tech 120. On a donc encore du chemin à faire, que ce soit via des programmes d’inclusion ou plus de mise en visibilité de femmes.
Il faudrait aussi construire plus de canaux pour partager nos expériences parce que c’est déjà une avancée d’avoir un plus grand pourcentage de femmes dans ces postes-là mais encore faut-il pouvoir en parler. Il y a tellement de femmes qui ont un parcours inspirant et qui pourraient faire acte de modèle pour des femmes et des filles qui veulent se lancer dans des métiers que l’on dit encore aujourd’hui « non-traditionnels ». A ce sujet, vivement la fin de l’appellation « non-traditionnelle » pour qualifier un métier !
Mon deuxième point porte sur l’éducation genrée à la maison en bas-âge. Il y a plein de stéréotypes qui nous influencent à partir de la jeune enfance et qui ont un impact immense sur notre trajectoire professionnelle. Il y a une étude très intéressante qui souligne que les enfants sont influencés par des remarques de type « les maths c’est pour les garçons », etc. A cause de ce phénomène, dès 6 ans, les jeunes filles montrent moins d’intérêt pour des domaines et des jeux qui sont dit intellectuels. Et pourtant, ça ne devrait pas être le cas. Quand les enfants deviennent familiers avec des outils, des lego ou des ordinateurs, on ouvre la voie à une plus grande gamme de parcours pour l’avenir, peu importe leur genre.
Quelles aides aurais-tu aimé recevoir durant ton parcours ?
Ce qui aurait fait la différence, c’est plus d’intervention de la part de témoins de comportements inacceptables. Lorsque l’on ne met pas de limite au sexisme ordinaire, notamment à des blagues de mauvais goût, c’est un problème. Il faut protester face à des attitudes inadmissibles, et notamment quand la victime n’en a pas été témoin. Par exemple, quand on assiste à des remarques déplacées faites derrière le dos des concernés, il faut avoir le courage de protester. Le silence est déjà de la complaisance et vient renforcer la confiance de la personne qui fait le commentaire.
Aurais-tu un mot à dire à toutes les femmes qui envisagent un parcours dans la tech ?
Lire, parler et intervenir !
D’abord sur la partie lire, j’encourage toutes les femmes et les hommes à lire sur le féminisme, sur le sexisme systémique et ordinaire, la déconstruction de la manosphère et les critiques féministes des influenceurs de ce milieu… Se renseigner sur ces phénomènes nous permet d’acquérir le bon vocabulaire. Or, utiliser les bons mots et comprendre les concepts, c’est l’une des premières étapes nécessaires pour exercer une influence positive et aider les victimes de ces comportements abusifs.
Le deuxième sujet que j’aimerais adresser, c’est communiquer. Il faut pouvoir dire comment on se sent dans des situations inconfortables, challenger les conceptions de ceux qui nous entourent, faire de la sensibilisation, utiliser nos connaissances et notre empathie pour inviter ceux qui ont des comportements sexistes à comprendre que ce n’est pas normal. En effet, je pense que certaines personnes ne se rendent pas toujours compte qu’ils peuvent avoir un comportement inadéquat.
Mon troisième point porte sur l’intervention. Le sexisme, la misogynie, la discrimination, c’est inacceptable. Mais c’est parfois difficile d’intervenir quand on est le témoin d’une situation inadéquate. Je me suis posé la question : pourquoi est-ce difficile d’intervenir ? A titre de comparaison, si l’on voit des personnes en train se battre, on sait tout de suite qu’il s’agit de violence et donc on va intervenir. Or, commettre des micro-agressions ou freiner quelqu’un dans sa progression personnelle ou dans la société, c’est une forme de violence. Si on le reconnait comme tel, on reconnait aussi que ce n’est pas normal, qu’il faut faire preuve de courage, et intervenir.
Se pose alors la question : où commence-t-on ? Pour moi, on peut commencer par la sensibilisation de ceux qui nous entourent. Avoir un réseau averti prêt à intervenir, c’est la première étape pour l’égalité, l’inclusivité et l’empathie. Et bien-sûr, intervenir soi-même quand on est témoin de sexisme.